LA RALLONGE / LA COMBINAISON #2

Sarah Brault
5 min readFeb 24, 2017

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Film 5 réalisé par Simon Guiochet / Musique 2 improvisée par Luc Fagoaga voix/mégaphone et Andy Lévêque au saxophone.

http://larallonge.franceimpro.net/play/5/2

Introduction
Deux secondes, une image, des symboles, la nuit.
Deux secondes, prémonitoires, de la lumière vers le néant, l’instabilité.

Rouge pixel
Au début de la vidéo, l’image passe en quelques secondes du blanc au noir pour devenir rouge, pixélisée. Ce rouge, c’est celui de la nervosité et de ses nuances. Évoluant comme une émotion, l’image à quelque chose du vivant. Elle est en mouvement constant comme ces pixels nerveux et ces cliquetis de clés au saxophone. Dans ce monde pixellaire, mouvant et minuscule, les petits bruits se comportent comme des fourmis au sein d’une fourmilière.

Au fur et à mesure, des textes en filigrane apparaissent brièvement. À ce moment entre la voix, le caractère nerveux de la combinaison s’intensifie. Le rythme accélère, les bruits du saxophone suggèrent une machine à écrire, la vitesse, l’avancée, l’automate. La voix grésille à travers le mégaphone, dans une ambiance bruitiste. Quelques respirations, de parts et d’autres de la texture sonore.

Un son d’ondes électromagnétiques se superpose à la musique ambiante, aussitôt la silhouette d’un écran de télévision se dégage de l’image, les nuances de gris réapparaissent. La télé dysfonctionne, l’image est rayée comme un disque, les grésillements visuels deviennent des milliers de petits points en mouvement.

Monsieur Pixels
Zoom sur les pixels de l’écran : de ces petits points devenus gros, sort un homme à l’air perdu, étouffé par ces électrons agités. Les cliquetis du saxophone sont de plus en plus rapides, des intonations parlées se font entendre, avec beaucoup d’air, l’essoufflement. Les modes de jeux de la voix peuvent assurément être le figuralisme de Monsieur Pixels.

Monsieur Pixels se pose des questions, les intonations vocales sont interrogatives. Ses mouvements ralentissent, l’image dysfonctionne, des halètements. L’image est séquencée entre le monde où Monsieur Pixels est échoué et le monde des points blancs sur fond noir du téléviseur grésillant. De grandes inspirations, le noir total, l’évanouissement.

The bad trip
Soudainement, une lumière vive, des couleurs surgissent. Tout est flou et imperceptible, avec toujours ces grandes inspirations et le souffle du saxophoniste est brutal comme un torrent qui s’écoule. La combinaison illustre un état hors de la réalité, proche du bad trip. La voix murmure un motif rapide et régulier (1 :40) repris par le saxophone. Ce motif évoque un état de stress et de tremblement, d’ailleurs l’image tremble et se cale. Apparaît une piscine où une personne nage à toute vitesse, illustration de l’état d’angoisse.

L’incohérence, le délire, le réveil chaotique
Ici, la distinction entre la réalité et le non-réel devient difficile, et c’est assurément toute la portée de cette combinaison pleine de confusions. Impossible de reconnaître le lieu, de comprendre ce qu’il se passe, de savoir si tout n’est qu’invention, ou non : remise en cause du vrai et du faux. Plus de repères auxquels se raccrocher, toujours cette respiration haletante et le souffle intense du saxophoniste.

Une lumière aveuglante, du gris, un visage apparaît. L’état de choc, l’incompréhension, l’angoisse. Le corps et l’esprit ne sont plus contrôlables. Un zoom sur l’écouteur de la personne à l’écran est annonciateur de la réapparition du monde numérique. Un passage de dessin animé en noir et blanc: un lapin chasseur essaie de fusiller un autre lapin, mais la victime futée, bouche le fusil. Le chasseur se retrouve lui-même fusillé. Il y a ici la notion de dualité, déjà présente auparavant, notamment avec la technique du zapping et les alternances de couleurs. Le chasseur tombe, la chute est figurée par le souffle des musiciens. Le chasseur se débat, essaie de sortir de cette chute, de cette décadence, mais il se transforme en un filet de lumière qui forme ponctuellement un pénis lumineux sur fond noir. Une bande blanche verticale apparaît à l’écran, elle ressemble à une route vue de haut, de très près, à toute allure, figuralisme de la fuite. Ces bandes blanches se placent ensuite en croix sur le buste d’une personne, peut-être est-ce une annonce de la mort, du basculement vers le non-réel.

Le rituel
Ça grésille, de la lumière, une couleur rouge sang, un mauvais présage. Tout se passe très vite, de manière séquencée, avec des coupures. Des symboles à la peinture rouge, des traits, des cercles, des taches de sang. Pour la première fois, la voix chante une mélodie aiguë, elle fait penser à un chant tribal de l’ordre du rituel, un cri ou un appel au secours. Au saxophone, des expirations régulières et rapides puis des bruits qui ressemblent à des petits marquages au tambour. Le fond devient noir et les symboles blancs sont tachés de rouge, un retournement de situation. Du langage semi-parlé, semi-chanté et des notes répétées avec un son guttural, ressort la primitivité de l’humain.

La montée au ciel
Comme précédemment, des lignes blanches fines défilent verticalement. Apparaissent le ciel et les nuages, symboles de la mort, de la montée au ciel. La mer défile à l’écran dans un mouvement de vagues qui trainent derrière les bateaux, ce mouvement peut représenter la fuite qui se fait rattraper par la grandeur, l’étendue, l’universel commun au ciel et à la mer. Tout à coup paraît un homme sur un bateau qui prend une photo, peut-être la dernière. Le point de vu à changé, ce n’est plus la mer qui est vue du bateau mais le bateau qui est vu de l’extérieur. La fin se fait sentir. Quelques derniers souffles interrompus joués avec un brillant mode de jeu au saxophone.

Conclusion
Dans le dernier plan, une boule de pétanque se jette sur l’autre. L’une est seule et voit l’ombre de l’autre arriver sur elle, avant de se faire violemment expulser de l’écran, achever. L’image est instable. La séparation des deux boules de pétanque représente une séparation entre le réel et le non réel. Progressivement la luminosité devient le noir.

Cette combinaison est régie par plusieurs thématiques: l’air (souffle, chute…), la fuite (route, bateau…), l’électronique (radio, télévision, onde, zapping, écouteur, appareil photo).

De plus, la notion de dualité y est fortement présente, l’incontrôlable, le caractère indomptable, bien représenté par la technique du zapping : il y a tout le long une alternance entre couleurs et noir et blanc, la présence d’une bipolarité (ciel/mer…) l’annonce perpétuelle de la décadence finale hors de la réalité. Cette annonce est présente dès l’introduction où en deux secondes le blanc progresse vers le noir, et des symboles paraissent, anticipateurs de la partie « rituel ».

Le point commun entre l’image et la vidéo est leur caractère angoissé. La technique du zapping est d’ailleurs un outil structurant dans la conception du film : le zapping toujours, la séquence toujours, l’instabilité toujours. La combinaison arrive vers un point de tension final, évolution bien illustrée par la musique sur sa forme globale: un crescendo musical qui part du rien (hauteurs indéterminées) vers le sonore, le chanté. À la fin, la voix crie mais encore trop doucement, cette tension présente depuis le départ ne demande qu’à exploser. Cette combinaison reflète une difficulté dans l’expression et l’émancipation qui conduit donc à une résignation finale.

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Sarah Brault

Amatrice de concerts, de musique et de musicologie, je suis particulièrement intéressée par les musiques improvisées et contemporaines.